Si les touristes visitant le Brésil sont souvent émerveillés de la beauté de ces tâches colorées à flanc de montagnes, rares sont ceux qui ont conscience des réels enjeux qu’elles représentent. Et si visiter les favelas brésiliennes peut briser les clichés, cela se fait parfois au détriment des habitants, encore plus stigmatisés. Si pour certains, les touristes ne font que fantasmer la misère, pour d’autres, le tourisme de favelas participe grandement à leur ouverture et leur progrès économique. Alors, qu’en est-il vraiment : faut-il visiter les favelas du Brésil ?

Éthique visiter favelas

Le tourisme des favelas

Depuis le milieu des années 90, de plus en plus de touristes en quête d’authenticité et de découvertes hors des sentiers battus s’aventurent dans les favelas brésiliennes. Ce phénomène appelé « tourisme favela » ou « tourisme de ghettos » ne se limite pas au Brésil, et consiste à visiter les zones les plus pauvres des grandes villes en quête de sensations uniques et brutes, par exemple en Afrique du Sud ou en Inde où le phénomène a explosé après le succès mondial du film Slumdog Millionnaire.

Au Brésil, beaucoup de favelas attirent donc les curieux, comme par exemple celles de Recife. Mais les plus visitées restent largement celles de Rio de Janeiro et São Paulo. En tête, la favela Rocinha, la plus grande du Brésil, lieu de vie de près de 100 000 personnes, qui est également relativement plus développée que d’autres favelas, la plupart des maisons étant faites de briques et ayant accès à l’eau et à l’électricité.

Parmi les manières de visiter les favelas, l’une des plus communes est le tourisme dit communautaire : il s’agit d’être escorté d’un guide local et donc familier de la favela pour en découvrir tous les secrets.

Tourisme favelas

La sécurité

Gangs, armes, trafics de drogues, enlèvements, violence… Ceux qui ont vu le film La Cité de Dieu le savent, il y a beaucoup d’à priori sur les favelas brésiliennes, qui peuvent donner des sueurs froides aux touristes. Pourtant, les favelas ne se résument pas à cela. Elles sont le lieu de vie de centaines de milliers de personnes, et près d’un habitant sur trois habite une favela à Rio.

Depuis 2008, les politiques gouvernementales ont permis d’en pacifier certaines :  c’est-à-dire que des unités de police ont été implémentées dans certaines d’entre elles, comme la favela Santa Maria, pour démanteler le contrôle des narcotrafiquants sur ces quartiers. Concrètement, les chiffres de la police fédérale montrent désormais que les zones très touristiques peuvent se révéler plus dangereuses pour les étrangers que certaines de ces favelas pacifiées. La violence et l’insécurité restent pour autant des problèmes récurrents des favelas, mais pas homogènes entre chacune d’entre elles.

Favelas Rio de Janiero

La face cachée du tourisme des favelas

Si le tourisme des favelas pose question, c’est qu’il s’apparente souvent à du voyeurisme. Chaque jour, des dizaines de camionnettes remplies de touristes appareils photos en main arpentent les ruelles escarpées des favelas de Rio et du Brésil comme s’ils faisaient un safari. Dans un article de 2017 du média espagnol El País, Juan Arias, correspondant au Brésil, déclare que « beaucoup d’Européens qui viennent à Rio de Janeiro ressentent une certaine attirance fatale pour la misère ». Souvent, c’est d’ailleurs la façon même de visiter qui dérange. Le contraste entre ces communautés au faible niveau de vie et les hordes de touristes qui enchaînent les photos à travers les vitres de leur camionnette ultra-confort fait grincer des dents.

En plus de cela, un autre phénomène lié aux visites des favelas pose problème : celui de l’appropriation des lieux par ceux que les Brésiliens appellent les gringos, qui sont de plus en plus nombreux à emménager dans les favelas. En témoigne la favela Vidigal à Rio et sa vue imprenable sur la cité merveilleuse, qui devient un endroit branché et tendance, et dont les prix augmentent progressivement, poussant parfois ses habitants à déménager dans d’autres quartiers, faute de pouvoir faire face à la montée des prix. Dans un article de 2014, The Guardian qualifie même les favelas de Rio d’endroits les plus « in » pour manger à Rio. Cette gentrification a donc l’effet pervers de creuser encore plus les inégalités sociales en faisant fantasmer des quartiers populaires à une population bien plus aisée.

Favelas Brésil

Le tourisme des favelas, bénéfique pour ses habitants ?

Reste que ne visiter que les beaux quartiers du Brésil, par exemple, se restreindre à Copacabana et Ipanema à Rio, c’est fermer les yeux sur la diversité qui défini si bien le Brésil. Au delà de cela, c’est aussi participer à l’isolement des favelas, qui favorise nettement leur stigmatisation. En effet, véritables villes dans la ville, avec leurs propres systèmes sociaux, elles restent souvent en marge du reste de la ville, ce qui favorise les inégalités et empêchent aux favelas de progresser et de s’intégrer.

Un autre avantage du tourisme dans les favelas est également économique : en dépensant dans les restaurants, les bars et les magasins locaux, les touristes participent à la croissance et à réduire les inégalités. Pourtant, ce phénomène n’est pas toujours systématique : bien souvent, des agences de tourisme organisent les tours de A à Z, pour que les curieux puissent s’immerger dans la favela en gardant une sécurité offerte par des guides et des véhicules. Dans ce cas, les revenus ne sont distribués qu’aux agences touristiques, qui sont bien souvent extérieures aux bidonvilles, comme l’explique la professeure de sociologie à l’Université de Sao Paulo et auteure de différentes recherches sur les favelas, Bianca Freire-Medeiros à Libération. En effet, en 2016, parmi les sept agences opérant dans la favela Rocinha, une seule était dirigée par ses habitants.

En plus de l’aspect économique, c’est également un aspect social qui peut s’avérer bénéfique pour les favelas. Parmi les dizaines de milliers de touristes qui s’aventurent dans les favelas brésiliennes chaque année, une partie importante est brésilienne. Il s’agit donc pour eux comme pour les touristes étrangers de déstigmatiser ces communautés entières, de faire prendre conscience que les favelas ne se résument pas au trafic de drogue, au banditisme et aux armes à feu, mais qu’elles représentent de grands lieux d’expression culturelle. Toutefois, cette approche des favelas loin des clichés n’est, encore une fois, pas systématique. Si certaines visites se feront en intégrant totalement les habitants des communautés, d’autres se feront à travers les vitres blindées d’un 4×4. Il s’agit donc d’une différence de regard porté sur les favelas, mais aussi de démarche.

Bidonville Brésil

Comment visiter les favelas du Brésil de manière éthique ?

Visiter les favelas du Brésil de manière éthique est tout à fait possible, mais il faut suivre quelques règles de bienséance. Visiter la favelas avec un guide parmi un groupe de visiteurs n’est pas un problème : cela assure une certaine sécurité et permet de bénéficier des connaissances et du savoir du guide sur la favela. Cependant, il faut s’assurer que l’agence responsable de la visite soit tenue par des locaux : cela garantira que le tour se fera en intégrant la communauté, et non à son détriment.

Il faut également favoriser les visites à pieds plutôt que les tours en mini-bus touristiques qui s’apparentent à des safaris. Visiter une favela à pieds permettra alors d’avoir un réel contact avec sa population, de pouvoir s’arrêter au détour d’une ruelle et de s’intégrer plutôt que de lorgner sur la misère dans le confort de son van climatisé. Cela permet également de plus facilement s’arrêter dans les commerces, et ainsi participer à leur croissance.

Enfin, il est vivement conseillé de ne pas prendre des photos des habitants sans leur consentement. Pour les habitants, cette mauvaise habitude des touristes impolis s’apparente bien souvent à du voyeurisme, et peut parfois avoir un côté humiliant.

6 Commentaire à “Faut-il visiter les favelas du Brésil ?”

  1. Geoffrey

    Cet article est vraiment bien écrit et intéressant, et répond de fort belle manière à une question que je me suis posée lorsque j’ai visité le Brésil ! Bravo

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  2. De toute façon le tourisme de masse commence déjà par le simple voyageur qui sommeille en nous: plus il y aura ce tourisme, plus les favelas seront en dangers pour les habitants j’ai bien peur hélas; c’est sûr un contact local est plus à privilégier

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  3. Un questionnement qui résonne en moi. Je ne suis jamais allée au Brésil, mais je m’étais interrogée sur ce type de tourisme lorsque je me suis rendue en Afrique du Sud. Visiter ou pas Soweto ? J’ai préféré m’abstenir non par crainte pour ma sécurité, mais effectivement parce que je ne voulais pas faire de voyeurisme.

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  4. Manon

    Il est vrai que je n’aurais pas pensé aller la bas.. Mais ton article est super intéressant sur le sujet ! Ça fait réfléchir…

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  5. Maya

    Ton article est super bien écrit et très renseigné, je n’ai jamais encore eu l’occasion de visiter le Brésil donc la question ne sait pas encore posé mais pourtant ton article m’a vraiment plus !

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  6. Dainville

    Accompagnée par un ami vivant à Salvador de Bahia et son frère, j’ai pu visiter un terreiro de Candomble situé dans une favela. Ma démarche n’était pas touristique mais reflétait un réel intérêt concernant les orixas, avec une attirance sincère pour Oxum . Mes amis ont pu expliquer la pensée car je ne parle pas assez la langue. Après une certaine réticence, une “mère” m’a carrément donné la main pour tout visiter et expliquer. Les barrières sont tombées et j’ai même été invitée à participer à une cérémonie . Malheureusement elle avait lieu après. Mon retour en Europe. Je ne me suis pas sentie malvenue mais je n’aurais pu y accéder sans mes amis brésiliens. J’aimerais y retourner un jour. Je suis âgée, et j’ai été surprise au Brésil de constater partout que les habitants y étaient attentifs, vous aidant pour gravir un escalier par exemple (nombreux escaliers sans rampe entre les habitations dans les favelas).

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